Skip to content
Nos solutions et services d'études sont adaptés à vos enjeux !
METHODE

Les Risques Psychosociaux (RPS) : histoire, modèles et outils d’enquête

 

Photo Profil RS People Vox 2025 IconPeople Vox  
@PeopleVox

Réunion entre collègues sur les Risques Psychosociaux (RPS).

Depuis les années 2000, les Risques Psychosociaux (RPS) se sont imposés dans le paysage du travail comme un enjeu majeur de santé publique, de performance organisationnelle et de responsabilité sociale. Derrière ce terme devenu courant se cachent en réalité des décennies de recherches issues de la psychologie du travail, de la sociologie des organisations, de l’épidémiologie, et de la gestion. De Hans Selye à Michel Gollac, en passant par Karasek, Theorell, Dejours ou Siegrist, l’étude des RPS s’est construite par couches successives, avec des apports théoriques, cliniques et statistiques de plus en plus structurés.

Dans le sillage de ces travaux, des outils de diagnostic ont été conçus pour permettre aux organisations de mesurer l’impact du travail sur la santé mentale, émotionnelle et sociale des salariés. Questionnaires standardisés, grilles d’analyse, modèles organisationnels ou psychosociaux : les instruments se sont multipliés pour mieux évaluer, prévenir et agir. Mais encore faut-il comprendre leur genèse, leurs postulats théoriques, leurs champs d’application, et leurs limites.

 

Résumé de l'article
  • Les RPS (Risques Psychosociaux) englobent les facteurs de stress liés à l’organisation du travail, aux relations sociales, à la charge mentale, au manque d’autonomie ou au conflit de valeurs, et ont un impact majeur sur la santé mentale des salariés.
  • Hans Selye introduit dans les années 1950 la notion de stress biologique, tandis que Karasek (1979) propose le premier modèle organisationnel fondé sur l’articulation entre demande psychologique, autonomie, et soutien social.
  • Johannes Siegrist (1996) enrichit la compréhension des RPS avec le modèle d’effort-récompense, pointant les déséquilibres entre investissement professionnel et reconnaissance.
  • En 2011, le rapport Gollac & Bodier formalise six dimensions des RPS, désormais utilisées dans les politiques de prévention en entreprise et les outils de diagnostic nationaux (INRS, ANACT).
  • Les principaux outils d’évaluation des RPS sont : JCQ (Karasek), ERI (Siegrist), GHQ-12, COPSOQ, ainsi que les enquêtes nationales françaises (SUMER, EVREST, Conditions de travail).
  • L’évolution du travail contemporain (télétravail, hyperconnexion, flexibilité) introduit de nouveaux RPS, notamment liés à l’isolement, au techno-stress et au brouillage vie pro/vie perso, appelant une actualisation permanente des modèles.

 

 

Aux origines des RPS : les débuts de la recherche sur le stress au travail


Hans Selye et le stress biologique (années 1950)

Le point de départ est souvent attribué à Hans Selye, endocrinologue canadien, qui introduit dans les années 1950 le concept de stress comme une réponse biologique non spécifique de l’organisme à toute sollicitation. Son « syndrome général d’adaptation » en trois phases (alarme, résistance, épuisement) fonde une lecture biomédicale du stress, qui influencera longtemps les approches du travail.

Bien que Selye ne parle pas encore de travail salarié, ses travaux ouvrent la voie à une conceptualisation du stress chronique comme pathologie de la charge.

 

Premiers ponts entre physiologie et organisation du travail

Dans les années 1960-70, le stress sort du champ médical pour entrer dans celui des sciences sociales du travail. On commence à comprendre que le malaise au travail ne vient pas seulement de la personne, mais aussi de l’organisation et des relations professionnelles.

 

Aux États-Unis : rôle, surcharge et manque de clarté

Des chercheurs comme Kahn, French et Katz introduisent les premiers concepts de stress organisationnel. Ils identifient des facteurs comme :

  • le conflit de rôle (injonctions contradictoires),
  • l’ambiguïté (manque de clarté sur les attentes),
  • la surcharge (quantité ou complexité excessive de travail),
  • ou encore le manque de participation aux décisions.

C’est une lecture nouvelle : le stress est vu comme le produit de tensions structurelles, et non d’une fragilité personnelle.

 

En France : contraintes mentales et travail appauvri

Au même moment, en France, des ergonomes comme Leplat ou Wisner analysent les contraintes cognitives du travail réel : attention soutenue, rythme imposé, automatisation. Les sociologues Friedmann et Naville, eux, montrent les effets délétères de l’organisation taylorienne : monotonie, perte de sens, isolement.

Ces travaux pointent une autre réalité : le travail peut "user psychiquement", même sans danger physique apparent.

 

👉 On passe, en une décennie, d’une vision biomédicale du stress à une approche psychosociale et organisationnelle, qui posera les fondations de ce qu’on appellera plus tard les risques psychosociaux.

 

 

Les grands modèles théoriques des années 1970-1990


Le modèle demande-contrôle de Karasek (1979)

Robert Karasek formalise en 1979 le premier grand modèle explicatif du stress au travail. Il repose sur deux axes :

  • La demande psychologique (charge mentale, rythme, complexité)
  • La latitude décisionnelle (autonomie sur les tâches et la planification)

Le croisement de ces dimensions définit quatre types de situations de travail. La plus délétère est le JobStrain : forte demande et faible autonomie.

Ce modèle sera enrichi par Theorell, cardiologue suédois, qui ajoute une troisième dimension clé : le soutien social perçu au travail (collègues, encadrement). C’est le modèle DCS (Demande – Contrôle – Support).

A Brief Introduction to Job Strain - Unhealthy Work

 


Le modèle effort–récompense de Siegrist (1996)

Dans les années 1990, Johannes Siegrist propose un second modèle explicatif complémentaire. Il repose sur le déséquilibre entre :

  • Les efforts extrinsèques (charge, pression, responsabilités)
  • Les récompenses (salaire, sécurité, reconnaissance)

Un déséquilibre prolongé est un facteur majeur de stress chronique. Le modèle intègre aussi une variable individuelle : le sur-engagement, ou tendance à trop s’investir.

👉 Le questionnaire ERI (Effort–Reward Imbalance) est devenu une référence, souvent utilisée avec le JCQ (Karasek)

 

Une lecture complémentaire : la psychodynamique du travail

À partir des années 1980, certains chercheurs s’éloignent des modèles quantitatifs pour proposer une lecture plus clinique des effets du travail sur la santé mentale. C’est le cas du psychiatre Christophe Dejours, qui développe en France la psychodynamique du travail.

Son approche ne cherche pas à mesurer les facteurs de stress à travers des échelles standardisées, mais à comprendre comment le vécu du travail, les conflits de valeurs ou le manque de reconnaissance peuvent devenir des sources profondes de souffrance. Il met notamment en lumière :

  • Le sentiment de ne pas pouvoir faire un travail "bien fait" selon ses propres critères,
  • Les tensions entre exigences organisationnelles et convictions personnelles,
  • La construction, parfois, de stratégies de défense collectives pour « tenir », qui finissent par nuire à la santé.

👉 Même si cette approche n’a pas donné lieu à des outils de diagnostic formalisés, elle a contribué à faire évoluer la perception du mal-être au travail : la souffrance psychique n’est pas toujours visible, ni réductible à un niveau de charge ou à un score d’exposition. Elle peut aussi naître du rapport intime entre le travail, le sens et la reconnaissance.

 

 

Institutionnalisation et formalisation des RPS (années 2000–2010)


Des risques émergents à une priorité de santé publique

Au tournant des années 2000, les Risques Psychosociaux passent du statut de préoccupation académique à celui d’enjeu institutionnel. Plusieurs faits convergents y participent :

  • La montée des pathologies psychiques liées au travail (troubles anxieux, burn-out, dépression)
  • Des événements médiatisés (suicides à France Télécom, crises dans le secteur hospitalier)
  • Le rôle accru des CHSCT (aujourd’hui CSE) et des obligations légales de l’employeur en matière de santé mentale

En France, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, l’INRS, l’ANACT, ou encore la DARES vont progressivement intégrer les RPS dans leurs axes de recherche et de prévention, posant les bases d’une approche réglementée et opérationnelle.

 

Le rapport Gollac & Bodier (2011) : une grille d’analyse structurante

Publié en 2011, le rapport du collège d’expertise sur le suivi des RPS au travail, piloté par Michel Gollac et Marie Bodier, constitue une étape décisive dans la structuration du champ d'analyse. Il identifie six dimensions fondamentales des RPS, devenues depuis une grille de lecture de référence :

  1. Intensité du travail et temps de travail : surcharge, délais, horaires atypiques
  2. Exigences émotionnelles : gestion de la relation avec autrui (clients, patients, usagers)
  3. Manque d’autonomie : faible contrôle sur ses tâches, sa cadence, son organisation
  4. Rapports sociaux dégradés : conflits, absence de reconnaissance, harcèlement
  5. Conflits de valeurs : tensions entre les exigences professionnelles et les convictions personnelles
  6. Insécurité de la situation de travail : précarité, restructurations, incertitude

Cette grille est inspirée des modèles précédents (Karasek, Siegrist) mais elle les élargit. Elle est à la base de nombreux outils de diagnostic diffusés par l’INRS, l’ANACT ou de cabinets de conseil.

 

Vers une intégration dans la politique de prévention

Dès lors, les RPS ne sont plus seulement un sujet d’étude : ils deviennent un objet de prévention obligatoire. En France :

  • Le Code du travail impose aux employeurs une évaluation des risques (article L4121-1), incluant les RPS
  • Les DUERP (Document unique d’évaluation des risques professionnels) doivent mentionner les risques psychosociaux
  • Des plans de prévention sont exigés dans certains cas (accords QVT, risques majeurs, préconisations de l’inspection du travail)

De nombreux acteurs (services de santé au travail, consultants, psychologues, préventeurs) s’appuient alors sur des outils normalisés de diagnostic pour accompagner les entreprises.

 

 

Outils et modèles de diagnostic des RPS


Le Job Content Questionnaire (JCQ)

Développé par Karasek dans la lignée de son modèle, le JCQ mesure :

  • La demande psychologique
  • La latitude décisionnelle
  • Le soutien social

C’est l’un des questionnaires les plus utilisés dans les enquêtes nationales et les études épidémiologiques. Il existe de nombreuses adaptations en français. Il permet une typologie des postes selon leur niveau de stress potentiel (travail actif, passif, tendu, détendu).

 

Le questionnaire ERI (Effort–Reward Imbalance)

Développé par Johannes Siegrist, il repose sur le déséquilibre entre effort fourni et récompense reçue, et sur la propension individuelle au sur-engagement. Il est composé de plusieurs échelles et sous-échelles, souvent utilisées en complément du JCQ dans les études longitudinales.

 

Le GHQ-12 : santé mentale perçue

Le General Health Questionnaire (GHQ-12) ne mesure pas directement les RPS, mais les symptômes psychiques associés : anxiété, fatigue, dépression, troubles cognitifs. Il est utilisé dans de nombreuses études pour établir un lien entre exposition aux RPS et état de santé mentale.

 

Le COPSOQ : Copenhagen Psychosocial Questionnaire

Créé au Danemark dans les années 2000, le COPSOQ propose une approche globale, intégrant :

  • Les exigences cognitives et émotionnelles
  • L’autonomie
  • Le soutien social
  • La reconnaissance
  • La justice organisationnelle
  • Les conflits de valeurs

Le COPSOQ est reconnu pour sa modularité (différentes longueurs de questionnaire), sa compatibilité internationale, et sa capacité à fournir un profil psychosocial global. Il a été traduit et adapté en France.

 

Les enquêtes nationales : SUMER, EVREST, DARES

  • SUMER (Surveillance Médicale des Expositions aux Risques professionnels) est menée par le Ministère du Travail et les médecins du travail depuis 1994. Elle utilise les modèles de Karasek et Siegrist.
  • EVREST permet de suivre l’évolution de l’état de santé au travail à travers des entretiens médico-professionnels.
  • Les enquêtes Conditions de travail de la Dares/INSEE offrent une vision qualitative et longitudinale de l’environnement psychosocial au travail en France.

 

Les outils français de diagnostic opérationnel

L’INRS a développé un ensemble d’outils adaptés aux PME, notamment la grille RPS-DU (diagnostic rapide), la grille GPS (Groupe de Prévention du Stress) de l'ANACT ou encore des outils sectoriels.

Ces outils ont en commun de :

  • S’appuyer sur les 6 dimensions de Gollac
  • Proposer une lecture qualitative et participative
  • Être intégrés dans des démarches de prévention primaire

 

 

Nouvelles formes de travail, nouveaux risques


Télétravail, flexibilité, hyperconnexion

Depuis les années 2010 — et plus encore depuis la pandémie de COVID-19 — de nouvelles formes de travail ont émergé :

  • Télétravail à distance ou hybride
  • Flexibilisation des horaires
  • Numérisation intensive du travail

Cela a engendré de nouveaux risques :

  • Isolement social
  • Techno-stress (surcharge informationnelle, interruptions, surveillance)
  • Difficulté à déconnecter
  • Flou des frontières entre sphères de vie

Ces dimensions, bien que présentes de manière diffuse dans les modèles classiques, nécessitent aujourd’hui des actualisations méthodologiques.

Le COPSOQ a été mis à jour pour intégrer ces dimensions. Des questionnaires émergents explorent également les effets spécifiques du travail numérique sur la santé mentale.

 

Inégalités d’exposition aux RPS

Plusieurs enquêtes montrent que les RPS ne touchent pas tous les salariés de la même manière. Sont particulièrement exposés :

  • Les jeunes actifs
  • Les salariés précaires
  • Les femmes, notamment dans les métiers du soin
  • Les travailleurs isolés ou nomades

Cela invite à croiser l’analyse des RPS avec les enjeux de diversité, d’égalité professionnelle et de justice organisationnelle.

 

Les Risques Psychosociaux sont devenus une catégorie centrale de la santé au travail, à la croisée des enjeux de performance, d’éthique, de reconnaissance et de démocratie organisationnelle.

Leur histoire est marquée par une progressive complexification des modèles, de la charge de travail mesurable aux dimensions plus subjectives (valeurs, reconnaissance, sens). Les outils de mesure doivent désormais concilier rigueur scientifique, validité psychométrique, et ancrage organisationnel.

Mais les RPS ne sont pas que des signaux d’alerte. Bien analysés, ils sont des leviers puissants pour transformer le travail, redonner du sens, renforcer le collectif et améliorer la qualité des services comme des conditions de travail.